Les
trois terrains d'étude se situent en Syrie
centrale, dans l'Etat du
Gujarat en Inde, et au sud
Niger. Ils ont été sélectionnés
sur la base de partenariats,
préexistants au programme, avec des organisations
d'aide au développement confrontées dans leurs
actions de terrain à des problèmes de gestion
de l'eau. Les recherches ont été menées
en collaboration avec Aga Khan Development Network en Syrie,
Aga Khan Rural Support Programme en Inde et la Direction
du développement et de la coopération du Département
fédéral des affaires étrangères
(Suisse).
Dans les trois cas,
l'utilisation de l'eau engendre des conflits, avérés
ou potentiels, variables selon les situations, entre les
utilisateurs en amont et en aval des bassins versants, entre
agriculteurs et éleveurs ou entre les usages agricoles
et domestiques.
Mais le conflit commun aux trois études de cas et
le plus limitant en matière d'efficacité d'utilisation
de l'eau est d'une autre nature. Il oppose les réalités
en matière d'utilisation de l'eau aux principes généraux
de gestion découlant du diagnostic global de "crise
mondiale de l'eau" et/ou aux présupposés
sur lesquels se fondent les interventions.
La résolution de ce conflit est un pré requis
à la résolution des conflits d'utilisation
dont l'appréciation peut se trouver sensiblement
modifiée en éliminant les biais induits par
les diagnostics et les principes de
gestion préétablis.
Le diagnostic de crise
mondiale de l'eau fait l'objet d'un large consensus et a
contribué à une prise de conscience des enjeux
en matière de gestion des ressources hydriques. Les
organisations des Nations Unies et la Banque Mondiale ont
suscité dans de nombreux pays du Sud l'élaboration
de politiques de l'eau fondées sur les principes
directeurs énoncés à l'issue de la
conférence de Dublin en 1992. Toutefois, le diagnostic
de crise mondiale tend à masquer un autre fait largement
admis ; la connaissance très lacunaire des ressources
en eaux souterraines. Par ailleurs, la consommation d'eau,
notamment dans le domaine agricole, est souvent mal connue
à l'exception éventuellement des grands périmètres
irrigués généralement alimentées
par des eaux de surface. Le diagnostic de crise mondiale
de l'eau accrédite cependant l'hypothèse d'une
sur exploitation généralisée des eaux
souterraines privilégiant l'adoption de mesures visant
à en restreindre l'exploitation. Ceci est le cas
en Syrie centrale et au Gujarat. Les résultats du
programme de recherche posent le problème dans des
termes sensiblement différents et mettent en évidence
des options auparavant ignorées par les autorités
et/ou les organismes d'appui au développement.
L'hypothèse d'une sur exploitation
des ressources ne s'applique pas au cas du sud Niger où
la sous utilisation de l'eau est patente. L'amélioration
de l'utilisation de l'eau y est aussi confrontée
à des présupposés. Il apparaît
en effet que la surestimation des blocages induits par les
conflits d'utilisation et fonciers occulte le potentiel
en terme d'intensification de l'exploitation des ressources
hydriques. Par ailleurs, les travaux effectués au
sud Niger soulèvent d'autres questions sur les dimensions
sanitaires liées à l'eau. L'importance de
ces dernières est amplement soulignée par
plusieurs organisations des Nations Unies et des ONG internationales,
entre autres, dans le cadre du programme "dialogue".
Toutefois, dans des régions tels que le sud Niger
où la qualité de l'eau à usage domestique
est un réel problème de santé publique,
ces dimensions peuvent être totalement ignorées.
Les trois zones d'études ont pour caractéristique
commune d'être situées dans des régions
où l'eau est difficile à mobiliser du fait
de fortes contraintes physiques et/ou économiques.
En cela elles se situent beaucoup plus dans la règle
que dans l'exception. Elles sont cependant toutes trois
assez éloignées du diagnostic global de "crise
mondiale de l'eau". L'eau y est rare, mais la rareté
revêt des formes très diverses. L'eau peut
être physiquement abondante et difficilement mobilisable
dans le cas du Niger ou physiquement rare et ponctuellement
abondante dans les cas de la Syrie et du Gujarat. A l'échelle
d'une petite région les ressources souterraines peuvent
être à la fois sur et sous exploitées.
"Crise mondiale" ou crises locales ? La distinction
est importante, car si dans le premier cas la définition
et l'application de principes communs d'action sont essentielles,
dans le second, la standardisation des approches ne fait
pas sens.
Ronald Jaubert, Marika Bakonyi-Moeschler
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