Réseau universitaire international de Genève
Geneva International Academic Network

Français | English
Accueil > Actualités > Description

Une enquête sur la microfinance pour orienter les bailleurs de fonds - L'Agefi, 01.12.05

L’éditorial de "L’Agefi" du 4 novembre sur le thème de la microfinance nécessite quelques clarifications.

La recherche mise en question est menée conjointement par le BIT, l’Université de Genève, l’Institut universitaire d’études du développement (IUED) et l’Université de Cambridge. Il s’agit d’un projet de deux ans (2003-05) qui bénéficie d’un appui financier du Réseau universitaire international de Genève (RUIG), de la Fondation Ford et de la Commission Européenne.

Cette recherche est partie du constat, souvent discuté au sein du CGAP (Consultative Group to Assist the Poorest, un consortium de 30 bailleurs de fonds avec secrétariat à la Banque Mondiale) que la vaste majorité des institutions de microfinance (IMF) n’arrivent pas encore à s’autofinancer complètement. Ceci est en contradiction avec la promesse faite durant les années 1980 et 1990 par les promoteurs de cette stratégie selon laquelle, en principe au bout de 7 à 10 ans d’opération, toute IMF devrait se passer de toute aide publique. Il est vrai, il y a aussi un certain nombre d’IMF qui ont réussi commercialement, comme COMPARTAMOS, BRAC, BRI et d’autres, grâce notamment à des économies d’échelle.

Des coûts de transactions élevés

Cependant, le nombre de ces réussites ne dépasse guère une centaine alors que l’ensemble de toutes les institutions de microfinance est estimé à plusieurs milliers. Il est donc normal qu’en 2005, les bailleurs de fonds se posent des questions car ils constatent que les subventions continuent à être versées et le plus souvent sans date de fin prévisible.

La cause principale semble être la difficulté d’atteindre un effet d’échelle dans les opérations pour compenser les coûts de transaction par unité relativement élevés dans ce segment de marché, tout en continuant de cibler une population défavorisée. Face à ce constat un bailleur de fonds averti peut en tirer deux conclusions: soit la performance financière déficiente d’une IMF est due à des facteurs exogènes, auquel cas il peut y avoir des bonnes raisons de continuer une subvention, pourvu qu’aucune autre structure – banque ou fonds étatique– ne soit capablede fournir des services financiers aux mêmes conditions aux populations défavorisées; soit l’IMF est tout simplement inefficiente. Dans ce cas, le bailleur de fonds peut d’abord insister sur les efforts à réaliser pour accroître les revenus et baisser les coûts,sans pour autant abandonner la clientèle défavorisée. Si l’IMF ne réagit pas, le bailleur de fonds peut arrêter son appui.

Donc il s’agit d’un problème bien réel dans l’affectation rationnelle de l’aide au développement qui touche les contribuables généralement très soucieux à ce que l’aide publique soit attribuée de manière efficiente, y compris dans la microfinance. La recherche a procédé à une étude d’une cinquantaine d’institutions demicrofinance dans 26 pays pour identifier les facteurs qui influencent cette capacité: localisation, forme légale, possibilités d’externaliser les coûts de transaction, opportunités de diversifier les services financiers, concurrence, taille et type de la subvention initiale, plafonnement des taux d’intérêts, etc. Différents indicateurs de performance financière, d’efficience et d’impact social ont été utilisés ainsi que des états financiers audités sur cinq années consécutives.

Quatre grandes catégories d’IMF

Les résultats provisoires de notre analyse montrent qu’une performance financière positive n’est pas automatiquement synonyme d’efficience et inversement, qu’une IMF peut opérer de manière efficiente dans son segment de marché sans que cela lui garantisse une performance bénéficiaire. L’analyse multifactorielle réalisée fait ressortir quatre grands groupes d’IMF: celles qui visent une clientèle défavorisée (montant de crédits inférieur à 20% du PIB par tête) et qui sont efficientes (coûts administratifs bas par client et par rapport au portefeuille et un ROA jusqu’à 25%) mais qui n’arrivent pas encore à un autofinancement complet. Un deuxième groupe est constitué d’IMF moins focalisées sur les pauvres, se caractérisant par un niveau d’efficience plus faible (signalé par un portefeuille à risque de 90 jours élevé et des provisions pour perte supérieures à 10% du portefeuille) et une performance financière sous optimale.

Dans un troisième groupe on trouve des IMF focalisées sur les pauvres (montants moyens des prêts inférieurs à 20% du PIB par tête), assez efficientes (en terme de productivité du personnel) et ayant une bonne performance financière (provisions pour perte inférieure à 5% et taux de pertes inférieur à 0,5%). Finalement, dans une quatrième catégorie, on trouve des IMF qui ne sont pas vraiment orientées vers les démunis (avec des transactions en moyenne de $ 500 et plus), se caractérisent par une efficience moyenne (coûts administratifs par client élevés) et une performance financière faible (taux de perte entre 0,5% et 2% du portefeuille). Cette catégorie d’IMF applique souvent des intérêts de 25% et plus.

Un effort justifié

L’équipe de recherche est actuellement en train de traduire ces résultats en critères pour orienter la décision des bailleurs de fonds appelés à faire lapart entre les IMF qui mériteraient de bénéficier sur la durée d’une subvention et les autres qui seraient alors définitivement privées d’appui public.

A la lumière de ce qui précède on voit mal comment cette recherche peut être qualifiée d’«inutile» (voire l’éditorial du 4 novembre). Ce n’est pas des efforts perdus que de vouloir orienter les bailleurs de fonds dans leur recherche des moyens de lutte efficaces contre la pauvreté. Cela vaut certainement le financement que les trois institutions qui nous supportent ont cru judicieux d’allouer.

Bernd Balkenhol , Chief Social Finance, Employment Sector, Bureau International du Travail

Projet(s) associé(s)

Appel d'offres annuel 2002 Finances solidaires: vers une promotion plus transparente et rationnelle des institutions de micro-finance

>Voir le projet